Théâtre & éthique à l’hôpital
Des soignant·es du Centre Hospitalier Simone Veil de Beauvais (CHB) ont assisté à la représentation d’Apnée, au Théâtre du Beauvaisis. Cette pièce-documentaire, portée par Sophie Torresi, interroge le parcours d’une mère confrontée à la maladie grave de son fils. Au-delà du drame familial, elle propose une immersion dans les dilemmes éthiques inhérents à la prise de décision médicale. En réunissant professionnels de santé et patient·es, le CHB fait vivre le théâtre comme lieu d’échange et de réflexion.
Apnée : un spectacle engagé profondément pertinent
Tout commence par un appel téléphonique. Un soir de semaine, pendant un repas banal, le téléphone sonne. À l’autre bout du fil : le pneumologue de Lucas, 14 ans. Le verdict tombe, inattendu, brutal. L’état de santé de l’adolescent s’est aggravé : une greffe pulmonaire est désormais envisagée. C’est cette scène fondatrice, vécue par Sophie Torresi dans sa vie réelle, qu’elle choisit de porter sur scène dans Apnée. Seule en scène, parfois accompagnée de voix chorales, elle retrace le quotidien bouleversé d’une mère, entre examens médicaux, rendez-vous hospitaliers, incertitudes et résistance face à la médecine. Le récit est intime, direct, sans pathos. Il touche, questionne, interpelle
Une représentation ouverte à tous les acteurs du soin
Organisée dans le cadre de la formation des élèves aides-soignantes du GRETA de l’Oise (IFRAAS), la représentation du 22 mai n’était pas réservée aux seul·es apprenant·es. Elle a rassemblé un public plus large : professionnel·les du soin, usager·es du système de santé, associations, étudiant·es, citoyen·nes. En accueillant ce public diversifié au Théâtre du Beauvaisis – Scène nationale – les organisateurs ont voulu créer un temps fort de réflexion partagée sur les enjeux de la relation soignant-soigné. Le CHB, pleinement impliqué dans cette initiative, a montré son engagement pour une éthique vivante, incarnée, connectée aux réalités de terrain.
Un débat animé par le CHB, au cœur des pratiques
À l’issue de la représentation, un débat a été animé par le Dr Anne-Marie Guérin, médecin médiateur et présidente de la commission des usagers du CHB. Cette professionnelle chevronnée, également responsable de l’Espace éthique Oise Ouest-Vexin, a guidé les échanges autour de trois grandes questions : qui décide pour un adolescent malade ? Comment réagir en cas de désaccord entre proches et soignant·es ? Jusqu’où doit aller l’information donnée aux familles ? Le public a salué la richesse de ces discussions, nourries par la pièce elle-même, mais aussi par les témoignages de terrain. Le théâtre devenait alors non pas un simple divertissement, mais un déclencheur de pensée, un espace de mise en dialogue des vécus et des responsabilités.
Qui décide pour un adolescent malade ?
L’un des nœuds éthiques soulevés par Apnée est celui du consentement lorsque le patient est mineur. Lucas a 14 ans. Il comprend ce qui lui arrive, mais c’est sa mère que les médecins sollicitent pour valider — ou refuser — la greffe. Cette dissymétrie, fréquente dans les parcours pédiatriques, interroge : à quel moment un adolescent devient-il suffisamment « compétent » pour participer aux décisions médicales qui le concernent ? Faut-il attendre la majorité, ou reconnaître une maturité progressive ? En pratique, les soignant·es doivent constamment ajuster leur posture, entre accompagnement parental et respect de l’autonomie naissante du jeune patient. La pièce montre toute la complexité émotionnelle et pratique de cette tension, invitant à repenser les modalités de la décision partagée dans les situations de vulnérabilité.
Quand la confiance vacille : le désaccord entre familles et médecins
Le deuxième levier de tension mis en lumière dans Apnée est celui du désaccord entre proches et équipe soignante. Sophie Torresi, dans son rôle de mère, exprime des doutes, interroge la pertinence de la greffe, remet en cause les certitudes médicales. Pour beaucoup de professionnel·les, ce type de confrontation génère malaise, voire sentiment d’échec. Mais il révèle aussi une chose essentielle : le soin n’est pas un acte unilatéral. Il implique de faire place au doute, à l’altérité, au non-consentement. Ces désaccords, quand ils sont accueillis et discutés, deviennent des opportunités de mieux comprendre les attentes, les représentations, les peurs de chacun. Et si la médiation devenait une composante systémique du parcours de soin, non pas en cas de crise, mais en prévention ?
Dire ou ne pas dire : le poids des mots dans l’annonce
Enfin, la pièce interroge la question cruciale de l’information : que faut-il dire à une famille lorsqu’un diagnostic vital est posé ? Et surtout, comment le dire ? Dans Apnée, la parole médicale est à la fois omniprésente et insaisissable. Elle impose une vérité scientifique, mais laisse peu de place à l’écoute du vécu. Trop d’informations peuvent noyer, trop peu peuvent trahir une forme de déni. L’équilibre est subtil. Pour les professionnel·les du CHB présents dans la salle, cette question renvoie à la formation continue : comment cultiver une parole soignante à la fois claire, honnête et sensible ? Le théâtre, en exposant les effets de chaque mot sur les protagonistes, pousse à reconsidérer la manière dont on annonce, explique, soutient. Peut-on enseigner l’annonce comme un art relationnel, aussi technique que médical ?
Apnée ne donne pas de réponse toute faite. Elle expose, avec force et finesse, la complexité des situations médicales où l’incertitude, l’émotion et la science s’entrechoquent. En faisant entendre la voix d’une mère, elle rappelle que chaque décision thérapeutique engage bien plus que des protocoles : elle mobilise des histoires, des valeurs, des trajectoires humaines. En y assistant, les soignant·es du CHB ne se sont pas contentés d’observer une fiction : ils ont accepté de se confronter à la réalité sensible du soin, là où l’éthique s’expérimente autant qu’elle se pense.
Ce type d’initiative montre combien le théâtre peut devenir un outil de formation éthique puissant, vivant, mobilisateur. En intégrant ces espaces de dialogue dans leur pratique, les hôpitaux peuvent renforcer leur culture du débat, du respect, de l’écoute.
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